La semaine de la sécurité des patients : quelles expériences innovantes d’engagements des patients au Québec ?

Introduction


Les systèmes de santé des pays industrialisés, à l’image du Canada, sont confrontés à des transitions à la fois démographique et épidémiologique transformant la morbidité et se traduisant par une augmentation de
la mortalité attribuable aux maladies chroniques dont la prévalence [1] et le nombre augmentent [2]. Au Québec, 47,5% des 12 ans et plus souffrent d’au moins un problème de santé chronique [3] et 50% des patients atteints de maladies chroniques ne respectent pas leur traitement [4].

De plus, au Canada un incident sur 18 séjours en établissement de santé a des conséquences préjudiciables pour le patient. Ces incidents de sécurité des patients [5] se classent au troisième rang des causes de mortalité après le cancer et les maladies cardiaques avec des coûts estimés pour le Canada lors des trente prochaines années de l’ordre de 6 800 $ par patient
soit des coûts de santé supplémentaires de l’ordre de 2,75 milliards $ par an [6]. La sécurité des soins et services de santé reste un défi majeur à travers le monde [7], aussi ces enjeux prioritaires imposent la recherche de nouveaux modes de fonctionnement parmi lesquels l’engagement des
patients et leurs familles aux différents niveaux du système de santé fait consensus. [8]

La place des patients/usagers dans le système de soins : un changement de paradigme

Les patients et leur famille ont une vision complète et longitudinale des épisodes de soins. Ils sont, de ce fait, à même de repérer les situations à risque susceptibles d’échapper aux professionnels de santé. Toutefois,
afin de les impliquer dans une démarche intégrative visant leur enga-gement dans la sécurité et la qualité des soins et services, la mobilisation d’outils de mesure, l’information et la formation sont, entre autres, ess-entielles [9]. De même, cet engagement à tous les niveaux du système
de santé et notamment dans les soins passe également par un changement profond de pratiques professionnelles. Ainsi, les modèles qui accordent une
voix aux patients sont en plein essor à l’image du Modèle de Montréal, l’un des plus aboutis à l’heure actuelle. Celui-ci s’appuie sur les savoirs expérientiels [10] des patients devenus membres à part entière des
équipes interdisciplinaires de santé qui peuvent intervenir à tous les niveaux du système de santé dans le cadre du partenariat de soins et de services (PSS) [11].

La communauté de pratiques : une pratique collaborative permettant
de promouvoir le PSS

Les approches quant à la manière de déployer le PSS au sein des établissements et services de santé au Québec sont variables d’un établissement à un autre. Dans ce contexte, les établissements et services de
santé ont opté pour le partage d’expériences, de pratiques et d’outils et la mise en commun de leur schéma organisationnel. Réunis au sein de la communauté de pratiques (CDP) sur l’expérience et le partenariat avec les usagers et leurs proches [12], ils proposent une façon innovante de briser l’isolement professionnel et l’éloignement géographique ressentis par de nombreux acteurs, tout en confortant la dynamique de mise en réseau des établissements de santé et des services sociaux. La CDP mise en place par la Docteure Marie-Pascale Pomey, compte désormais la totalité des établissements de santé et de services sociaux du Québec. Structurée en sous-comités selon les sujets d’intérêts communs tels que les stratégies de déploiement mises en place ou encore les indicateurs de suivis, elle répond aux attentes de chacun tout en favorisant les échanges d’information. De plus, à l’image de l’action commune conduite durant la Semaine nationale de la sécurité des patients (SNSP), les projets qui y sont menés contribuent à la promotion du PSS.

Une promotion permise grâce à une volonté affichée et des actions innovantes

Fondé par Santé Canada en 2003, l’Institut canadien pour la sécurité des patients (ICSP) [13] en lien avec l’ensemble des acteurs du réseau de santé concours à accroître la sécurité des patients et la qualité des soins de santé. Dans cette optique, depuis 2005, l’ICSP organise annuellement une campagne de sensibilisation durant la SNSP. En préparation de cette semaine qui s’est déroulée du 29 octobre au 2 novembre 2018, au moins quatre établissements québécois, soit le centre hospitalier universitaire de
Montréal (CHUM), le centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ) le centre intègré de santé services sociaux de Laval (CISSS de Laval) et l’institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec Université Laval (IUCPQ-UL) ont fait le choix de consacrer au minimum une journée aux rôles du patient et sa famille dans la sécurité des soins avec pour slogan : « Je suis partenaire de mon système de santé pour améliorer ma sécurité ». En s’inscrivant dans une démarche projet structurée qui comprend différentes étapes (Figure 1) transcrites dans un guide [14], les établissements ont choisi de planifier ensemble cette journée en s’enrichissant mutuellement de leurs expériences antérieures.

Des équipes organisatrices créatives au pilotage du projet

Afin d’organiser l’évènement, au Cisss de Laval, la direction qualité, évaluation, performance et éthique a réuni un comité de travail. Ce comité, composé de représentants de l’ensemble des catégories professionnelles
et de représentants du bureau du partenariat de soins et de services a travaillé en étroite collaboration avec des usagers partenaires. Sur la
base des chiffres de la prévalence des erreurs médicamenteuses parmi les résidents hébergés en centres de soins de longue durée (CHSLD s’établissant entre 16% et 27% [15], ces échanges interprofessionnels ont permis de mener une action ciblée en direction des usagers et des professionnels des CHSLD de l’établissement en y proposant des activités de sensibilisation au bon usage des médicaments. Également, des journées thématiques de promotion et de sensibilisation au rôle des usagers et des professionnels dans la sécurité de la prise des médicaments, se sont déroulées à l’hôpital Cité-de-la-Santé de Laval. Celles ci ont été animées par des cliniciens, gestionnaires et usagers partenaires. Au CISSS de Laval, la direction qualité évaluation performance et éthique a réuni un comité de travail représen-tatif de l’ensemble des catégories professionnelles où étaient aussi présents des représentants du bureau du partenariat de soins et de services. Ce comité en charge de l’organisation de l’évènement a travaillé avec des usagers partenaires afin de soumettre le projet au comité de direction
de l’établissement. Sur la base des chiffres de la prévalence des erreurs médicamenteuses parmi les résident hébergés en centres de soins de longue durée (CHSLD) s’établissant entre 16% et 27% [16], ces échanges interprofessionnels ont permis de mener une action ciblée en direction des usagers et des professionnels des CHSLD de l’établissement en y proposant
des activités de sensibilisation au bon usage des médicaments. Également, des journées thématiques de promotion et de sensibilisation au rôle des usagers et des professionnels dans la sécurité de la prise des médicaments, se sont déroulées à l’hôpital Cité-dela-Santé de Laval. Celles-ci ont été animées par des cliniciens, gestionnaires et usagers partenaires. À l’IUCPQ-UL, la valeur ajoutée du partenariat ne fait aucun doute et se traduit par un travail en étroite collaboration entre le comité de gestion des risques cliniques et le comité des usagers contribuant à promouvoir l’approche de partenariat au sein de l’ensemble de l’Institut. Ainsi, les comités ont défini ensemble le thème de la semaine : Expériences de partenariat avec l’usager et ses proches et un groupe de travail composé notamment d’un usager ressource a été constitué afin de mettre en œuvre les activités retenues.

Des actions innovantes et adaptées à chaque public
La bibliothèque vivante à l’IUCPQ-UL et au CHUSJ

Dans cette bibliothèque, les livres sont des personnes qui racontent une facette de leur vie, une expérience, une conviction… Le lecteur passe un moment de dix à vingt minutes avec un livre vivant et découvre son histoire. Véritable espace de dialogue, opter pour cette activité à la faveur de la déconstruction des préjugés et de la création de lien social, c’est opter pour un outil original visant à modifier ou influencer les comportements [17]. L’IUCPQ-UL a proposé aux intervenants composés notamment de professionnels, d’usagers ressources [18] et de représentants du comité des usagers, quatre séances de formation accréditées sur l’approche de partenariat, co-animées par un usager. Alimentée par le témoignage de ses expériences de partenariat, cette formation a donné lieu à un échange sur
les relations de partenariat qu’entretiennent ou que devraient entretenir les intervenants avec les usagers et leurs proches. Au CHUSJ, un conférence-midi a été proposée par Marie-France Langlet, mère d’un enfant ayant subi
une greffe de moelle osseuse et désormais conseillère au bureau du partenariat patients-familles-soignants du CHUSJ. Cette maman a livré un témoignage émouvant, celui des différentes étapes du parcours de sa famille impliquée dans l’accompagnement de son enfant. Ainsi, par sonn récit, elle a démontré avec beaucoup de conviction l’importance de la mise en place d’une alliance thérapeutique basée sur la confiance réciproque, au service du succès et de la sécurité de soins.

La chambre des erreurs pour le CHUM et CHUSJ

La chambre des erreurs est, quant à elle, un exercice de simulation in situ organisé dans l’environnement habituel de travail des professionnels par laquelle les participants doivent identifier les différents éléments qui représentent des manquements à une prestation de soins sécuritaire. Cet outil de simulation ludique et pédagogique largement utilisé par les établissements de santé permet d’améliorer la qualité et la sécurité
des soins. Durant la SNSP, le CHUM a opté pour un atelier chambre des erreurs avec l’implication d’une patiente ressource partenaire. Cette activité constitue un outil de simulation intéressant au sens où il permet d’optimiser chez les professionnels de santé une culture de la sécurité. En effet, cette approche permet au personnel d’acquérir et/ou de réactualiser des connaissances et des savoir-faire, de tirer des apprentissages nécessaires pour améliorer la sécurité et la qualité des soins, et de
mobiliser différents acteurs du parcours de soins. De même, la présence d’une patiente partenaire lors de l’activité a permis d’accroître la sensibilisation des participants aux conséquences négatives sur la santé des
individus et des possibles lacunes en matière de sécurité de soins. L’activité qui s’est déroulée dans deux unités de soins, a permis de rejoindre plus d’une cinquantaine de personnes au profil professionnel varié. Le CHUSJ a également fait ce choix en proposant un kiosque Chambre des erreurs ainsi que 17 autres ateliers sur des thématiques différentes, telles que Le client mystère ou Qui suis-je ? À leur arrivée, les participants se voyaient remettre un badge, ainsi qu’un passeport santé permettant de valider leur passage
aux différentes activités. Ainsi, tout professionnel ayant participé à au moins trois d’entre elles, pouvait obtenir une attestation de formation continue. Au CISSS de Laval, des usagers partenaires accompagnés par des cliniciens ont animé durant toute la semaine, différents ateliers dont les thématiques portaient sur le bilan comparatif des médicaments, le lavage des mains, les bonnes pratiques de l’administration des médicaments… De plus, deux conférences accessibles à tous en visioconférence, l’une animée par un professionnel et l’autre par un usager partenaire et une conseillère cadre en gestion des risques, avaient pour objectif de sensibiliser à
l’utilisation des médicaments et à l’importance de l’implication des patients dans la sécurité et la qualité des soins et services.

Une communication interne et externe soignée

Afin de mobiliser et de sensibiliser un large public, une attention particulière a été accordée à la communication interne et externe avant, pendant et même après l’évènement. À l’IUCPQ-UL, cinq cents exemplaires
de deux dépliants ont été distribués aux usagers hospitalisés ainsi que dans les salles d’attente des services ambulatoires et des urgences. Le premier
dépliant intitulé. Le comité des usagers à votre écoute ! recensait les droits des usagers, et le second nommé. Ensemble améliorions la sécurité des soins permettait aux usagers et à leurs proches de comprendre comment ils peuvent participer à la sécurité des soins et des services. De plus, grâce à la trousse de communication élaborée par l’ICSP [19], les établissements ont pu disposer d’outils et de conseils afin de définir leur stratégie de communication et ce en utilisant l’ensemble des vecteurs de communication. Le guide propose notamment des modèles de messages Twitter et Facebook afin de promouvoir la campagne de sensibilisation.
Enfin, le centre d’excellence du partenariat avec les patients et le public (CEPPP) [20], expert incontournable du PSS dans le milieu de la santé à contribuer au rayonnement de l’évènement notamment à l’aide d’articles
promotionnels publiés avant et après la SNSP.

Conclusion


La SNSP vise de nombreux objectifs afin d’augmenter la sécurité des soins et sensibiliser les patients sur leur droit d’être impliqués dans leur sécurité et leur rôle dans la divulgation d’évènements indésirables. Elle aspire également à sensibiliser les professionnels de santé au lavage des mains, aux Pratiques organisationnelles requises (POR) [21] et la possibilité de
construire des témoignages pour éviter d’autres évènements du même ordre (exemple dé-stigmatiser les peurs autour de la divulgation). Ces défis ont été relevés par les établissements impliqués dans la démarche en lançant des actions innovantes animées ou co-animées par des usagers ressources lors d’une journée consacrée aux rôles des patients dans la sécurité des soins. Cette première expérience de la CDP a amené l’idée de créer un réseau de patients intéressés par la sécurité des soins afin d’alimenter la Cdp sur ces enjeux.

Auteures

Sylia Mokrani : Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal – Montréal – Québec – Canada
Marie-France Langlet : Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
Carole Lavoie : Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie – Québec – Canada
Audrey-Maude Mercier : Centre hospitalier de l’Université de Montréal – Montréal – Québec – Canada
Isabelle Olivier : Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
Isabelle Simard : Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval – Laval – Québec – Canada

Revue : RISQUES & QUALITÉ • 2020 – VOLUME XVII – N° 1

Notes et références

[1] Betancourt M, Branchard B, Geneviève Gravel G, et al. Indicateurs
des maladies chroniques au Canada
. Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario), Canada 2017,4 p.
[2] Fournier C, Murphy M. L’autogestion des maladies chroniques, l’état de santé et l’utilisation des services hospitaliers : exploration de données populationnelles. Santé Bien-être, Institut de la statistique Québec, février 2016, 20 p.
[3] Institut de la statistique du Québec. Le Québec, chiffres en
mains
. 2018, 77 p. Institut canadien pour la sécurité des patients. Le bien-fondé d’investir dans la sécurité des patients au Canada. Août 2017.
[4] L’observance des traitements prescrits pour les maladies chroniques
pose problème dans le monde entier
. OMS, 2003.
[5] Définis comme un résultat de soins involontaire évitable causé par la gestion médicale ou une complication plutôt que par la maladie sous-jacente elle-même, et entraînant une prolongation des soins, un handicap ou la mort
[6] Institut canadien pour la sécurité des patients. Le guide canadien de l’engagement des patients en matière de sécurité.
[7] Richards T, Montori VM, Godleef. et al. Let the patient revolution
begin. BMJ 2013; 346: f2614. doi: 10.1136 / bmj.f2614. BMJ 2013; 346: f2614. doi: 10.1136 / bmj.f2614.
[8] Vincent C, Amalberti R. Safer healthcare: strategies for the real
world
. Heidelberg New York Dordrecht London: Springer Cham,
2016,170 p.
[9] Jouet E., Flora L., Las Vergnas 0. (2010). « Construction et Reconnaissance des savoirs expérientiels des patients ». Note de synthèse du N°, Pratique de formation : Analyses, N°58/59, Saint Denis, Université Paris 8, pp. 13-94
[10]  https://chaireengagementpatient.openum.ca/communautesde-
pratique

[11] https://www.patientsafetyinstitute.ca
[12] Pomey M.-P., Flora L., Karazivan P., Dumez V., Lebel P., Vanier M.-C., Débarge B., Clavel N., Jouet E. (2015), « Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de santé », Santé publique, HS, 2015/S1, pp.41-50.
[13] Un guide pour la préparation de la première journée d’engagement
des patients dans la sécurité des soins et des services : une journée pour et réalisée par les patients », 2018, CdP
[14] Ferrah N, Lovell JJ, Ibrahim JE. Systematic review of the prevalence of medication errors resulting in hospitalization and death of nursing home residents. J Am Geriatr Soc. 2017;65(2):433-442.
[15] Morin E. La nature de la nature (Tome 1) La méthode. Paris:
Le seuil, 1977 p. 51.
[16] L’usager ressource contribue à l’amélioration de l’expérience
des usagers en milieux de soins et à leur qualité de vie par le
partage de ses savoirs expérientiels et la promotion d’un partenariat
dans les soins et services. Il participe ainsi aux initiatives propices
à la co‐construction, à la collaboration et à l’apprentissage,
tant sur le plan clinique que sur celui de la gouvernance. Terminologie
de la Pratique collaborative et du Partenariat patient
en santé et services sociaux. Montréal, Québec : Université de
Montréal. 2016.
[17] Haute Autorité de santé. Guide de bonnes pratiques en
matière de simulation en santé. Evaluation et amélioration des
pratiques
. Paris: 2012, 100 p.
[18] Direction de la collaboration et du partenariat patient.
Terminologie de la pratique collaborative et du partenariat
patient en santé et services sociaux
. 2016, Université de Montréal,
Montréal, Québec.
[19] Institut canadien pour la sécurité des patients. Trousse
d’outils de communication à l’intention du personnel soignant
et des dirigeants du domaine de la santé
. 2019, 12 p.
[20] https://ceppp.ca
[21] Les pratiques organisationnelles requises sont déterminées le
programme Qmentum d’Agrément Canada. Elles doivent obligatoirement
être implantées et appliquées dans les établissements
de santé, en vue d’améliorer la qualité et la sécurité des soins et
des services. Elles sont regroupées selon 6 catégories : culture
de sécurité, milieu de travail ou effectifs, communication, utilisation
des médicaments, prévention des infections, évaluation
des risques.