INITIATIVE Le partenariat patient, un modèle innovant

Face aux tendances de fond qui menacent la viabilité des systèmes de santé, la recherche de nouveaux modes de fonctionnement devient une priorité, avec des stratégies visant à impliquer les personnes accueillies au sein des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Pour aller « au-delà du cadre des associations ou des instances de démocratie sanitaire » comme voulu par le législateur, les modèles qui accordent une voix aux patients sont en plein essor, à l’image de l’une des approches de partenariat les plus abouties : le modèle de Montréal. L’étude présentée ici vise à poursuivre et à approfondir la dynamique d’implication des personnes accueillies
mise en place au sein du CHRU de Nancy, structurant un modèle de partenariat, à chaque niveau de l’établissement et dans chacune de ses missions, et s’inspirant du modèle de Montréal et d’autres initiatives menées sur le territoire.

Les systèmes de santé des pays industrialisés, du fait des progrès médicaux et d’une espérance de vie en constante évolution, sont confrontés à une transition à la fois démographique et épidémiologique, transformant la morbidité et se traduisant par une augmentation de la mortalité liée aux maladies chroniques dont la prévalence (1) et le nombre augmentent (2). Les maladies chroniques sont définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « des affections de longue durée (ALD) qui, en règle générale, évoluent lentement. Responsables de 63 % des décès, elles sont la toute première cause de mortalité dans le monde (3) ». Face à l’inobser-vance des traitements chez 50 % des patients atteints de maladies chroniques (4), le contrôle de ces maladies constitue un enjeu majeur en termes de santé publique et d’impact économique (5). En France, avec un tiers de la population souffrant de maladies chroniques, le constat est identique (6). La recherche de nouveaux modes de fonctionnement, qui s’appuient sur un changement profond des pratiques professionnelles
intégrant l’usager et ses proches, est devenue une priorité (7). Dès le début des années 2000 (8), les décideurs et les opérateurs du domaine de la santé publique français ont opté pour le développement de stratégies visant à impliquer les personnes accueillies au sein des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, à la fois à un niveau individuel en tant
qu’ acteurs de leurs propres soins mais également à un niveau collectif en tant que contributeurs à la définition et l’élaboration des politiques de santé. Cette implication, fruit d’une évolution de la société liée notamment au développement de la démocratie participative et au besoin d’implication des patients eux-mêmes, s’illustre à travers la démocratie sanitaire devenue désormais « démocratie en santé » (9). Toutefois, s’étant construite autour du principe et du fonctionnement de la représentation par les associations d’usagers en santé, de nombreux rapports révèlent les limites des dispositifs déployés et posent le constat suivant : la démocratie en santé dans les faits se traduit par une approche indirecte assurée par les représentants associatifs d’usagers (10). Pour autant, les lois qui se sont succédé, ont cherché et cherchent encore à développer « des modes complémentaires d’expression de la parole des usagers et de leurs proches […] au-delà du cadre des associations ou des instances de démocratie sanitaire (11)».
Il ne s’agit alors plus d’agir et de communiquer au nom des usagers, mais de réfléchir à de nouvelles modalités de co-construction qui prennent en considération la parole des personnes accueillies leurs expériences et expertises. Conséquence de ces évolutions : les modèles qui accordent une voix aux patients sont en plein essor, à l’image de celui proposé par l’université de Montréal (UdeM), dit « modèle de Montréal », qui s’appuie sur la reconnaissance des savoirs expérientiels du patient au profit de la qualité et la sécurité des soins et la prise en compte de son projet de vie.
Ce modèle a particulièrement intéressé le centre hospitalier régional universitaire de Nancy (CHRUN) qui a mené ces dernières années de nombreuses initiatives et projets accordant une place et un rôle aux personnes accueillies. L’établissement est également impliqué dans un programme de recherche Interreg portant sur l’approche patient partenaire de soins (APPS) au sein de la Grande Région : la Wallonie, le Grand-duché du Luxembourg, la Lorraine, Rhénanie-Palatinat et la Sarre. Ce projet a pour objectif principal d’étudier et d’analyser l’APPS en développant des solutions systémiques qui intègrent notamment les aspects culturels, les organisations et les réglementations respectives des systèmes de soins de santé.
Ainsi, en s’inspirant du modèle de Montréal et d’autres initiatives menées sur le territoire national ou international, le CHRU de Nancy travaille sur l’implantation d’un modèle de partenariat visant à impliquer davantage les personnes accueillies (12).

Expérimentations : Le modèle de Montréal

L’approche patient partenaire de Montréal constitue un changement de paradigme en considérant le patient comme un membre à part entière de l’équipe de soins, au même titre que les autres professionnels (13), grâce notamment à ses savoirs expérientiels. Les patients reconnus comme experts de la vie avec leur maladie entre en collaboration avec les professionnels de santé qui eux sont experts de la maladie. Ainsi, s’opère une co-construction à différents niveaux – le système de santé, la recherche et la formation – et lieux d’implication – niveaux micro (dispensation directe des soins), méso (organisation des services) et macro (gouvernance).
Cette co-construction se fonde sur la complémentarité et le partage des expertises et des savoirs expérientiels de chacun afin d’élaborer des solutions qui font consensus et qui sont mises en oeuvre conjointement dans une perspective de prise de décision libre et éclairée et de leadership partagé (14). Le patient devient ainsi un membre à part entière de l’équipe de soins (15) et grâce à une relation de partenariat, il peut à la fois mieux gérer sa maladie en tant que patient partenaire de ses soins et contribuer à l’amélioration du système de santé dans une dimension collective du partenariat. Cette approche relationnelle positionne les patients comme co-décideurs de leur stratégie thérapeutique et plus globalement co-acteurs au sein du réseau de santé (16). De ce fait, grâce à « leurs savoirs situés et leur perspective singulière (17) », il est possible de concevoir « des actions de santé innovantes, ou plus pertinentes au regard des attentes des malades et d’améliorer les parcours de soins (18)» (schéma 1).

Ligue contre le cancer : patients ressources (PR) témoin et parcours
Plan Cancer 2014-2019 (19)


La Ligue contre le cancer est chargée d’expérimenter la formation et le déploiement de PR parcours et témoins, dans deux régions : Grand Est et Pays de Loire. Le PR témoin partage son expérience de la maladie avec les professionnels de santé en formation pour les sensibiliser aux difficultés auxquelles sont confrontés les patients et les encouragent ainsi à être attentif à ce vécu. Le PR parcours intervient auprès de personnes malades dans les services hospitaliers dans le but d’améliorer leur parcours de soins. À l’écoute des patients, il leur transmet son expérience pour mieux vivre la maladie et les traitements en lien avec les équipes soignantes. Ces patients qui sont identifiés par la Ligue contre le cancer, les associations partenaires ou les établissements de santé sont recrutés après une évaluation psycho-logique assurée par un psychologue de la Ligue contre le cancer. Ce recrutement donne lieu à une formation réalisée par l’école de formation de la Ligue et a un suivi renforcé. L’évaluation réalisée tout au long de
l’expérimentation montre pour le PR témoin un fort niveau de satisfaction
des 4 578 étudiants sensibilisés : 99 % des répondants pensent conseiller cette intervention à d’autres professionnels de santé et 98 % pensent que cette intervention aura un impact sur leur future pratique professionnelle. Le dispositif PR parcours s’est quant à lui déployé avec des résultats plus contrastés au regard des objectifs initiaux. Des résultats très positifs sont toutefois à noter : 979 patients ont pu bénéficier de l’intervention d’un PR parcours. Plus de 95 % des répondants (20) du questionnaire
de satisfaction considèrent que le PR parcours répond à un véritable besoin et 99 % d’entre eux que ce type de rencontre serait intéressant à déployer pour aider davantage de patients. Plus de 80 % affirment que la PR par-cours leur a permis d’améliorer le vécu de la maladie (effets secondaires, impact sur la vie quotidienne…) et leur qualité de vie (diminution de stress, de l’anxiété).

Hôpitaux universitaires de Genève : un partenariat souple et flexible

Dans le cadre de sa stratégie 20/20 (21), les HUG ont souhaité développer un modèle de partenariat intitulé « Patients partenaires ». Ce dernier qui constitue pour l’établissement un levier d’amélioration de la qualité des prestations, a pour objectif de promouvoir ce modèle relationnel à chaque étape de la prise en charge du patient, pour toutes les maladies chroniques et aiguës, dans toutes les spécialités de soins, mais aussi dans les domaines de la qualité des soins, la recherche, l’enseignement et la gouvernance. Fruit de la réflexion d’une équipe de professionnels pluridisciplinaire et de patients, le cadre conceptuel du partenariat est la première étape de ce
projet. Ce cadre est l’outil d’identification des domaines et de dévelop-pement des actions, pour lesquels les patients et les aidants sont reconnus dans leur position d’acteur de santé. Ce projet se déploie grâce, notamment, à la création d’une plateforme qui assure un recrutement permanent des patients et des proches aidants, qui met en réseau les partenaires et qui les accompagne dans leurs activités en partenariat. Ainsi, les HUG comptent une base de données de patients partenaires particulièrement importante (22) et le partenariat s’implémente progressivement dans tous les domaines. Ce résultat s’explique entre autres par le soutien de la direction
générale, le développement du partenariat suite aux premiers retours d’expérience réalisés aux HUG, la mise en relation des partenaires par la plateforme « Patients partenaires HUG » ainsi que la motivation des patients et des professionnels.

Le déploiement du partenariat au sein du CHRU de Nancy

À partir de l’analyse du modèle de Montréal et des différentes initiatives décrites précédemment, le CHRU de Nancy travaille sur l’implantation d’un modèle de partenariat. La vision commune est un espace dynamique tentant de créer un équilibre entre les différences de pensées autour d’un sujet, dans lequel sont partagés des objectifs, des valeurs, des principes et des façons de faire. Par une création collective fondée à la fois sur le dialogue et sur l’action, elle est une étape préalable indispensable avant le déploiement de tout projet. C’est la raison pour laquelle un groupe de travail pluriprofessionnel a été constitué afin de s’entendre sur une philosophie commune du partenariat (validation d’une classification, d’un glossaire et de fiches méthodologiques) et ainsi aboutir à un cadre con-ceptuel du partenariat pour l’établissement. Un état des lieux et de synthèse des outils et des démarches d’implication des patients a été réalisé en s’intéressant plus particulièrement aux points suivants :

  • niveau d’implication : dans les soins, dans la recherche ou dans l’enseignement ;
  • degré : de l’information a  la co-construction ;
  • lieu: niveaux micro, méso ou macro ;
  • formation initiale ou continue.

Cet état des lieux a permis de formaliser un modèle de partenariat propre au CHRU de Nancy (schéma 2) et des outils à l’image des fiches méthodologiques Ces dernières traduisent pour chaque profil de patient/usager partenaire, les modalités d’intervention de ces derniers (recrutement, périmètre d’action, missions, formation requise…), elles constituent ainsi un outil à disposition des professionnels de santé afin de mener des projets semblables de partenariat au sein de leur service.

S’inscrire dans une démarche collaborative afin de partager des expériences et des outils

De nombreuses initiatives sont menées en France en réponse à l’intérêt grandissant pour le modèle de Montréal. Ainsi, il peut être intéressant de s’inscrire dans une démarche collaborative des établissements de santé, afin de partager à la fois les expériences menées mais également les outils.
Cette pratique courante au Canada s’illustre via des communautés de pratiques professionnelles qui se sont développées dans le domaine de la santé et des services sociaux au Québec à la fin des années 2000. La communauté de pratiques sur l’expérience et le partenariat avec les usagers et leurs proches réunit l’ensemble des établissements de services et de soins du Québec. Compte tenu des travaux menés par les établissements français, il semble intéressant d’envisager cette forme de partage de bonnes pratiques, et de l’intégrer. L’étude réalisée révèle une réelle dynamique d’implication des personnes accueillies au CHRU, qui s’illustre au travers de nombreuses initiatives. Toutefois, pour approfondir et poursuivre la démarche, les expériences menées en France ou l’étranger, à l’image du modèle de Montréal, sont inspirantes afin de proposer un modèle de partenariat adapté à la France. Une fois ce modèle validé, la définition d’une démarche structurée est nécessaire pour assurer le succès de son déploiement.

Conclusion


En s’inspirant à la fois du modèle de Montréal et d’autres initiatives de partenariats, le CHRU de Nancy propose une approche de partenariat dont le succès de déploiement repose sur une démarche globale et intégrée, mais également sur l’adhésion des professionnels de la structure et des personnes accueillies. En France, de nombreux établissements de santé s’intéressent à l’approche de partenariat et développent leur propre modèle ou sont en cours d’élaboration, s’inspirant du modèle de Montréal. Ainsi, la collaboration avec ces derniers permettra, au-delà du partage d’expériences et d’outils innovants, de promouvoir les différentes approches du partenariat. Toutefois, afin d’éviter la multiplication de modèles, et un risque de confusion, l’adoption d’une démarche globale à l’échelle du territoire pourrait s’envisager ; reste à savoir si ce dernier s’entend à l’échelon du GHT, à l’échelon régional pilote de la démocratie en santé ou à l’échelon national. L’intérêt grandissant porté par les acteurs du domaine de la santé publique à l’approche de partenariat présage un début de réponse probablement prochainement d’autant que la certification conjointe des GHT et notamment le référentiel de 2020 prendra encore davantage en compte le patient

Auteurs :
Sylia Mokrani : Secrétaire générale. Référente projet. Responsabilité populationnelle, GH de la Haute-Saône, Vesoul
Dr Phi-Linh Nguyen-Thi : Responsable de l’unité d’évaluation
médicale. Service Évaluation et information médicales, CHRU de Nancy
Madeline Voyen : Cheffe de projet Unité d’évaluation médicale, Service Évaluation et information médicales, CHRU de Nancy
Sylvie Touveneau : Cheffe de projet Patients Partenaires Vision 20/20
Hôpitaux universitaire de Genève
Olivier Perrin : Chef du département Coopérations territoriales/GHT,
CHRU de Nancy

Références et notes

[1] Drees, « L’état de santé de la population en France », 2017. drees.solidarites-sante.gouv.fr
[2] C. Fournier, M. Murphy, « L’autogestion des maladies chroniques, l’état de santé et l’utilisation des services hospitaliers :exploration de données d’enquêtes populationnelles », Santé Bien-être, février 2016, Institut de la statistique Québec.
[3] OMS, « Les maladies chroniques », 2011
[4] OMS, « L’observance des traitements prescrits pour les maladies chroniques pose problème dans le monde entier », communiqué de presse, Genève, 2003. https://www.who.int/fr
[5] HAS, « Maladie chronique. Parcours de soins », 2013.
[6] A. Grimaldi, Y. Caille, F. Pierru, D. Tabuteau, Les Maladies chroniques. Vers la 3e médecine, Odile Jacob, 2017.
[7] C. Fournier, M. Murphy, « L’autogestion des maladies chroniques, l’état de santé et l’utilisation des services hospitaliers […] », op. cit.
[8] Loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
[9] Terme utilisé par l’ARS Île-de-France dans son schéma de promotion de la démocratie en santé 2013-2017. Le terme « personne accueillie »
sera ici préféré à « usager » qui renvoie à « utilisateur de service »,
comme préconisé par les participants au rapport « Merci de
ne plus nous appeler “usagers”. » Conseil supérieur du travail social,
2013 – K. Lefeuvre, O. Rolland, La Démocratie en santé en question(s), Les Presses de l’EHESP, 2018. Conseil supérieur du travail social, « Refonder le rapport aux personnes », 2013.
[10] C. Compagnon, février 2014, « Pour l’An II de la démocratie
sanitaire », Documentation française, rapport à la ministre des Affaires
sociales et de la Santé
, 2014 –
[11] Ministère des Affaires sociales et de la Santé, « Stratégie nationale
de santé, ce qu’il faut retenir », septembre 2013.
[12] S. Mokrani, « Renforcer l’implication des personnes accueillies : le partenariat patient, un modèle innovant au service de la qualité et la sécurité des soins », EHESP, Rennes, 2019.
[13] M.-P. Pomey, F. Flora, P. Karazivan, V. Dumez, P. Lebel, M.-C. Vanier,
B. Debarges, N. Clavel, E. Jouet, « Le “Montréal model” : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé »,
Santé publique, hors-séries (S1), 2015, pp. 41-50 – www.cairn.info
[14] Université de Montréal, « Terminologie de la pratique collaborative et du partenariat patient en santé et services sociaux », 2016.
[15] E. Jouet, L. Flora, O. Las Vergnas, « Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients », Pratiques de formation – Analyses, 2010.
[16] M.-P. Pomey, L. Flora, P. Karazivan, V. Dumez, P. Lebel, M.-C. Vanier, B. Debarges, N. Clavel, E. Jouet, « Le “Montréal model” : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé », op. cit.
[17] O. Gross, « L’engagement des patients au service du système de santé », Doin, 2017.
[18] Ibid.
[19] Plan Cancer 2014-2019, Action 7.15 : soutenir des expériences de « patients ressources » bénévoles et évaluer l’apport et les conditions de leur participation à l’accompagnement des personnes atteintes de cancer.
[20] Questionnaire web à destination des patients ayant bénéficié d’une intervention PRP (envoi 3 à 6 mois après l’intervention) : 151 répondants,
taux de réponse de 47 %.
[21] Patient partenaire, vision 20/20
[22] Depuis mars 2016, 570 patients et proches aidants et 880 implications.

Article publié dans la revue gestions hospitalières n° 592 – janvier 2020