Groupes d’entraide : Adaptation des pratiques face à une situation hors-norme

Cet article traite d’une solidarité mise en œuvre de longue date adaptant ses modalités d’entraide à la situation actuelle. Il est donc question dans les lignes qui suivent de la Solidarité de groupes d’entraide et de leur adaptation dans les pratiques mises en œuvre face à la pandémie de Covid-19 et à ses conséquences sociales..

Un groupe d’entraide, proposant des lieux de réunions en présentiel hebdomadaire s’est non seulement adapté à la situation en gérant la plus grande partie des  réunions dans l’espace digital, mais a également créé des réunions spécifiques de communauté ( genre, maladie spécifique…) dans la communauté que constitue ce groupe d’entraide pour soutenir ces membres atteintes de Covid-19.

L’objectif de ce qui suit est l’éclairage des modalités d’entraide issues de cette expérience. Si ce groupe d’entraide a une longue expérience en terme d’organisation et d’animation à des fins de soutien de groupes spécifiques au sein de son propre groupe d’entraide, ou encore a su s’adapter, en organisant par exemple des groupes dans des espaces dans lesquels certains membres sont privés de liberté, ou encore parce qu’ils sont confinés temporairement à l’hôpital, à la maison ou dans d’autres lieux, cette situation leur était nouvelle, comme à la majorité d’entre nous et ils ont su s’adapter très rapidement à la situation pour servir les membres de leur communauté touchées par le Covid-19. Ils ont ainsi fait preuve de résilience en mobilisant des technologies nouvelles à celles habituellement employées et ont constitué une forme de soutien adaptée, à partir de leurs savoirs expérientiels collectifs (Jouet, Flora, Las Vergnas, 2010) [1], qui répond à la singularité de chacun.

C’est donc à cause des instructions de confinement que la plupart des réunions organisées en ville ont basculé dans un environnement digital avec diverses applications dont nous ne ferons pas ici la publicité. Il est juste nécessaire de préciser que nombre d’entre elles sont audios et d’autres les proposent en visioconférence. L’interface audiovisuelle, après un certain temps de confinement permet de voir des visages (quand une personne vit seule) ou d’autres visages (quand La personne vit en couple, avec quelques proches ou en famille). Certains membres ont donc décidé, au fur et à mesure des diagnostics Covid-19, de constituer un groupe spécifique, d’y allier au début les personnes malades avec d’autres membres ayant été à l’épreuve de maladie à fort pronostic létal.

L’entraide ne s’est alors pas uniquement concentrée sur les rencontres virtuelle et sur un soutien psychologique, amical, voire spirituel. Une dimension souvent convoquée lorsque l’imaginaire ou la réalité de la mort apparaît, et comme nous l’avions déjà identifié dans une recherche sociologique sur les bénévoles investis dans les associations pour accompagner les malades du cancer (Ferrand-Bechmann, 2013[2] ; Ferrand-Bechmann, Bourgeois, Flora, Sevilla, 2010[3]), se développe manifestement en France y compris à travers une « spiritualité » laïque.

Ce groupe d’entraide, principalement grâce aux membres non atteints, a pu organiser des transports logistiques lorsque par exemple, pour cause de rupture de stock en pharmacies, un malade manquait de matériel comme par exemple l’Oxymètre si difficile à trouver actuellement dans certaines grandes villes ou encore des masques qui étaient apportés lorsque le malade ne vivait pas seul. C’est donc une solidarité déjà existante et résiliente qui s’adapte à la situation dont la majorité des membres, que ce soit dans le groupe spécifique ou dans la communauté, approuvent l’existence. De plus, nombre de membres assistent plus régulièrement à ces réunions proposées en ligne que dans leur vie quotidienne ordinaire. Une nouvelle vitalité et une prise de conscience des membres de ces groupe.s d’entraide, qu’il m’a été donné d’étudier il y a quelques années (Flora, 2012[4], 2015[5]) émerge donc de cette période de crise dont l’issue est encore incertaine. La question de savoir quelle nouvelle société en naitra peut se poser même s’il semble être trop tôt pour y répondre ?

En questionnant la constitution de ce groupe, j’ai pu identifier deux typologies organisées spontanément, sans qu’il y ait apparemment eu une réflexion explicite pour constituer ce groupe spécifique de soutien. I

D’une part il s’est constitué de membres ayant déjà vécu l’épreuve de maladies ayant généré une incertitude de diagnostic létal, à forte probabilité de décès pour accueillir les malades atteints du Covid-19 de ce groupe d’entraide. D’autre part, une autre caractéristique apparue est celle de la mobilisation de membres qui, patients, ont vécu des épisodes d’isolement prolongés du fait de l’évolution ou de la maladie quils avaient contracté.

En tous les cas, cette initiative met en lumière un constat, que j’ai souvent rencontré, aussi bien individuellement que collectivement une facette de la vulnérabilité trop peu documentée à mon sens. Si la vulnérabilité nous ampute de certaines habiletés, de certaines possibilités, elle est également source de créativité et de nouvelles formes de vie.

C’est une dimension actuellement étudiée par un participant Québécois à la maîtrise de recherche en ligne dont l’option fondement du partenariat avec le patient initié l’an dernier que l’auteur de ce billet à conçue pour la faculté de médecine de l’Université de Montréal au sein de la Direction Collaboration et Partenariat Patient.

Luigi Fora, chercheur CESOL,
Codirecteur patient du Centre d’Innovation du partenariat avec les patients et le public(CI3P), Faculté de médecine, et chercheur du laboratoire RETINES, Université Côte d’azur.
Coordinateur du partenariat avec les personnes à l’épreuve de psychotraumatisme.s, Centre National de Ressources et Résilience (CN2R)
Conseiller principal, Centre d’Excellence du Partenariat avec les patients et le Public (CEPPP), CR-CHUM, Université de Montréal, Québec, Canada.

Références bibliographiques

[1] Jouet E., Flora L., Las Vergnas 0. (2010). « Construction et Reconnaissance des savoirs expérientiels des patients ». Note de synthèse du N°, Pratique de formation : Analyses, N°58/59, Saint Denis, Université Paris 8, pp. 13-94.

[2] Ferrand-Bechmann D. (2013). Les bénévoles face au cancer. Paris : Desclée de Brouwer

[3] Ferrand-Bechmann D., Bourgeois I., Flora L., Sevilla A. (2010), La société du Care face au cancer : Les bénévoles dans les associations et les groupes d’entraide : Synthèse, CESOL. [Rapport de recherche dans le cadre de la convention PRSH08 DFB du 6 mai 2010 Ligue Nationale contre le Cancer/Université Paris 8].

[4] Flora L. (2012).  Le patient formateur : élaboration théorique et pratique d’un nouveau métier de la santé. Thèse de doctorat de sciences sociales, spécialité « Sciences de l’éducation », Université Vincennes Saint Denis – Paris 8, campus Condorcet, pp. 152-186.

[5] Flora L. (2015), Le patient formateur : nouveau métier de la santé ? Comment les savoirs expérientiels de l’ensemble des acteurs de santé peuvent relever les défis de nos systèmes de santé, Presses Académiques Francophones, Sarrebruck, Allemagne, pp. 279-343.

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